Creative Commons France

[Dominique Godon <dominique.godon AT tiscali.fr>]

Creative Commons en Italie (http://it.creativecommons.org)

   C'est le 16 décembre 2004 qu'à eu lieu à Turin le lancement officiel des versions italiennes des contrats de diffusion Creative Commons, un an après que le Département des Sciences Juridiques de l'Université de Turin et le Conseil National de la Recherche soient devenues les institutions affiliées au projet d'internationalisation iCommons. Lors de ce lancement, de nombreux orateurs étaient invités à s'exprimer,  et si l'on met de côté l'aspect artistique et musical de l'après conférence, plutôt réservé aux amateurs de techno et de dance, ce lancement officiel était plutôt une grande réussite, fort bien relayée par la presse locale, nationale et sur le web. Pratiquement dans la foulée de cet événement, des hacktivistes de la liste cc-it (http://lists.ibiblio.org/mailman/listinfo/cc-it), soutenus par un élu (le sénateur Fiorello Cortiana), proposait au Parlement Italien que les oeuvres de l'esprit ayant bénéficié de subventions publiques soient placées dans le domaine public! On a du mal a transposé une telle proposition, à ce niveau de l'Etat, en France!

El barrio, RadioDigitale.info, MIAO

   Dans la grande banlieue nord de la ville de Turin, mégalopole relativement polluée du nord de l'Italie, se trouve une ancienne école, dans les locaux de laquelle sont installées plusieurs associations, dont une ONG, ayant en commun d'oeuvrer quotidiennement à sortir la culture italienne actuelle du marasme dans lequel le triste sire Berlusconi et sa clique l'ont plongée depuis quelques années. Concrètement, il s'agit d'agir à faire reconnaître qu'un terreau bouillonnant n'attend qu'un signal pour se manifester. L'apparition des contrats Creative Commons en Italie joue ce rôle, puisqu'ils permettent de s'affranchir de la tutelle des institutions pour publier ses créations, laquelle tutelle revêt plutôt ces derniers temps tous les aspects de la censure, une censure insidieuse, kitsch, et plastiquement lisse, mais une censure tout de même.
   C'est donc dans cette optique que les associations MIAO (Musica, Internet, Arte, Oltre) et http://www.radiodigitale.info, grâce entre autres à Stefania Pettinato et à son énergie débordante, organisaient le 5 mars dernier un atelier consacré aux contrats Creative Commons, intitulé « Creative Commons: una licenza per la tua creatività », « Creative Commons: une licence pour ta créativité ». Faisant partie intégrante d'une opération initiée par la ville de Turin, appelée « Pagella Non solo Rock » (http://www.comune.torino.it/infogio/pagerock/), un tremplin musical destiné aux moins de 23 ans, étudiants et élèves de l'enseignement secondaire, ce workshop à l'italienne était clairement destiné aux jeunes musiciens. On verra plus loin que jeunes et moins jeunes étaient présents, avec des centres d'intérêts bien distincts.
   Au programme, une présentation du projet Creative Commons par Juan Carlos De Martin, « leader » cc en italie, et une présentation de l'aventure Godon par votre serviteur. Plus tard dans la soirée avait lieu la deuxième partie des sélections du tremplin « Pagella Non solo Rock », dans le même lieu, en l'occurrence l'ancien gymnase de l'école.

Le workshop

   La présentation de Juan Carlos est un modèle de clarté et de précision, deux vertus absolument nécessaires lorsqu'on veut aborder le droit d'auteur et la libre diffusion. Après un rappel historique, et quelques précisions d'ordre juridique, Juan Carlos en venait rapidement au coeur du sujet,  élaguant de sa présentation quelques aspects particulièrement techniques, pour se concentrer sur les aspects concrets de l'utilisation des licences. En effet, l'audience étant relativement jeune, membres de groupes participants au tremplin, fans des susdits, et jeunes venus des environs, il fallait aller rapidement au fait, et présenter les avantages et inconvénients de la diffusion classique, et les avantages et inconvénients que peut présenter la libre diffusion. C'est un point essentiel, sur lequel Juan Carlos prenait soin d'insister: Creative Commons ne se place d'emblée contre les institutions et les sociétés civiles. C'est en fait exactement l'inverse, et c'est là tout l'enjeu du travail énorme qui reste à accomplir: trouver et mettre en place des terrains d'entente pour que les uns et les autres puissent travailler ensemble à la progression d'une réelle diversité culturelle. A l'issue de sa présentation, quelques personnes demandèrent des précisions, auxquelles Juan Carlos répondit le plus clairement possible. Parmi les auditeurs, un label manager italien demanda de manière assez agressive à Juan Carlos pourquoi il voulait abolir le copyright, et insista également sur le fait que ce type de discours lui faisait peur pour l'avenir des musiciens et des labels indépendants. Juan Carlos, encore une fois, adopta l'attitude correcte, en demandant à son interlocuteur de se présenter, ce qu'il refusait de faire, curieux réflexe alors que les organisateurs de l'évènement le connaissent très bien, et en le priant d'accepter et de comprendre que la libre diffusion ne propose absolument pas la mort ou l'abolition du copyright, mais une alternative valable et viable, visant à équilibrer le renforcement toujours plus insistant du copyright à l'américaine.

   Grâce à la participation active de Joseph (http://www.sunrek.net), un artiste français vivant  en Italie depuis une dizaine d'années, c'est en français traduit en simultané qu'eut lieu la présentation du travail de Godon, le groupe de rock libre français, et de l'utilisation que l'on pouvait faire des licences Creative Commons. L'accent était mis sur trois composantes essentielles, l'existence d'un projet musical authentique au départ, la capacité de rechercher et de s'entourer de compétences clés, et, enfin, la capacité de persévérer et de tenir un cap, les tentations étant nombreuses, en cours de route, de se dire, si ça ne marche pas comme ça, essayons plutôt comme ça... Il fallait également apporter des données concrètes aux auditeurs, notamment concernant le rapport entre les ventes de disques et les téléchargements, les concerts et les enjeux généraux de la libre diffusion dans le cadre d'un projet professionnel. Des exemples célèbres étaient cités, la compilation du magazine Wired (http://www.wired.com/wired) tirée à 750000 exemplaires en novembre 2004 (http://www.wired.com/wired/archive/12.11/sample.html), les 50000 exemplaires vendus et les 50000 exemplaires téléchargés du roman « Down and out the magic kingdom » de l'auteur de sf anglais Cory Doctorow (http://www.craphound.com/down/download.php),, le label américain magnatune.com (http://www.magnatune.com), avec quasiment une licence commerciale signée par jour, la plupart dans le cadre cinéma alternatif ou web! Au sujet des rapports entre artistes et maisons de disque, ou label faisant partie de maisons de disque, un auditeur, sans se présenter non plus, décidément une mauvaise habitude ce jour-là, déclara ne pas aimer les caricatures consistant à dire que dans l'industrie, l'artiste ne touche pratiquement rien sur les ventes de disque, alors que dans le monde indépendant voire alternatif, les artistes sont plus justement rétribués, ce qui est dû, notamment, à l'absence d'intermédiaires en tous genres se farcissant copieusement les poches au passage. Il s'avéra plus tard que l'interlocuteur en question est à la tête d'un label punk-rock bien connu à Turin, et qu'il n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler un pauvre hère, malgré ses dires, certifiant qu'il ne gagne pas d'argent avec les groupes qu'il produit. Mis à part son intervention, les auditeurs étaient dans l'ensemble très attentifs, et semblaient très concernés par les développements que creative Commons et la libre diffusion leur laissaient entrevoir.

Un modèle d'organisation et d'implication

   Après le workshop, en soirée, avait lieu la deuxième sélection pour le tremplin « Pagella Non solo Rock », organisé par la Ville de Turin. D'un niveau très inégal, les groupes qui se produisirent avaient de toute façon une occasion inespérée de jouer sur une petite scène, dans des conditions presque professionnelles, avec un public venu (pas) très nombreux, et dans une ambiance (très) chaleureuse. Il faut féliciter et relayer le travail de l'équipe du Barrio, lieu associatif vivant et dynamique. Malgré les interventions relativement déplacées de deux dinosaures recroquevillés sur leurs positions vacillantes, cette journée fut un succès à tous points de vue, et l'on sait les difficultés que présente l'organisation d'un tel événement. Il serait bon de s'efforcer, en France, d'atteindre un tel niveau de coopération entre les instances municipales, les associations et les institutions, dans l'intérêt du public et des artistes. C'est à ce prix que la libre diffusion trouvera chez nous le retentissement qu'elle connaît déjà de l'autre côté des Alpes.

10/03/05 - Auteur: Dominique Godon (godon.org)
Texte diffusé sous licence Creative Commons  by-nd-2.0
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